mercredi 5 mai 2010

Ambre

Ambre avait toujours été un mystère pour lui. L’œil constamment ourlé d’un trait de noir profond, elle portait sur le monde qui l’entourait un regard penché, comme un mur près de s’écrouler. Impossible de dire d’elle J’ai croisé son regard, car même fixe, il apparaissait fuyant. Elle était pareille à une image aux contours indéfinissables, flous, noyée dans un brouillard.

Il s’était dit qu’avec le temps, cette impression disparaîtrait. Mais comme un contre-jour toujours s’installait lorsqu’elle était près de lui, sans qu’il ne réussisse à savoir si cela venait de lui ou d’elle. Il n’en parlait pas, de peur d’être le seul à avoir remarqué cet étrange phénomène. Le jour de son entretien d’embauche déjà.

Il se souvenait encore de cet entretien. Celui-ci s’était déroulé dans son bureau actuel alors qu’il venait à peine d’envahir l’espace. Ses tableaux trônaient encore à même le sol, empilés les uns contre les autres, contre un mur, dans un coin, et son immense bureau en acajou, encore vierge du moindre trombone, paraissait, dans tout cela, démesuré. Pour arroser le tout, un soleil chaud, orangé, de fin d’après-midi avait constamment illuminé les multiples baies et jusqu’aux moindres reflets de ses cheveux auburn. Ou peut être chocolat ? Il n’avait jamais réussi à se décider. Ni ce jour-là. Ni depuis.

Si elle était une humeur, elle serait la mélancolie, telle était la pensée qui lui était venue ce matin en la croisant. Pour autant, il n’avait pas l’impression qu’elle ne souriait jamais. Ni qu’elle souriait… Une véritable énigme qui, à la force, l’obnubilait. Qu’est-ce qui l’anime ? Etait-ce une nostalgie ou une perpétuelle rêverie ? De l’ennui ou peut être des soucis ? Pouvait-il l’aider ?

Tout cela devenait ridicule ! Pourquoi elle, pourtant ni plus belle, ni plus celle ? Rien ne la distinguait et pourtant : Elle ! Et lui ! qui avait accepté de vivre depuis un temps certain avec ce que son père nommait sa part d’ombre, maintenant réclamait dans sa chair, et contre toute attente, sa part d’Ambre. Il y avait de quoi rire…

Elle est la vague à l’ombre de mon âme. L’Homme ne sait pas vivre sans une ombre au tableau, connu de lui seul, lui donnant ainsi une raison de se lever le matin ou une douce impression d’être un mauvais garçon quand dans les yeux des autres on ne lit qu’une hypocrite révérence, voire pour les plus gentillets de la pure dévotion. Avoir quelque chose à révéler, à sortir de l’ombre pour les jours sans animation.

Cela ne pouvait cependant pas continuer. Il lui fallait réagir. Escalader le mur et fuir Ambre. Ou mettre sa part d’ombre en pleine lumière. Après d’intenses réflexions et un dernier regard, il décida. Et sauta. Non sans avoir préalablement griffonné quelques mots qu’Ambre la première trouva : A l’ombre de mon âme, à l’aplomb de mon mur, se tapit Ambre, ma Dame, ma part d’ombre pure. Je m’en vais la rejoindre.

Alors Ambre s’assombrit, devint ombre couleur ambre, et finalement sombra, à l’aplomb de son âme.

Pour la part d'ombre à offrir cette semaine aux Impromptus.

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