Je vous avais dit que je reviendrais dessus. Et encore je ne vous reprends pas tout le chapitre, ni tous les passages que j'ai surligné...
Il y a des gens à qui les meilleures choses ne réussissent pas. Ils peuvent être habillés d'un costume en cachemire, ils auront l'air de clochards ; être riches et endettés : être grands et nuls en basket. Je m'en rends compte aujourd'hui, j'appartiens à l'espèce de ceux qui n'arrivent pas à rentabiliser leurs avantages, pour qui ces avantages sont mêmes des inconvénients.
(...)
Il est écrit dans L'Ecclésiaste que "qui accroît sa science, accroît sa douleur" ; mais, n'ayant jamais eu le bonheur d'aller au catéchisme avec les autres enfants, je n'ai jamais été prévenu des dangers de l'étude. Les chrétiens ont bien de la chance, si jeunes, d'être mis en garde contre le risque de l'intelligence ; toute leur vie, ils sauront s'en écarter. Heureux les simples d'esprit.
Ceux qui pensent que l'intelligence a quelque noblesse n'en ont certainement pas assez pour se rendre compte que ce n'est qu'une malédiction.
(...)
Si la nature n'estropiait personne, si le moule était à chaque fois sans faille, l'humanité serait restée une espèce proto-hominidés, heureuse, sans aucune pensée ni progrès, vivant très bien sans Prozac, sans capotes ni lecteur de DVD dolby digital.
Être curieux, vouloir comprendre la nature et les hommes, découvrir les arts, devrait être la tendance de tout esprit. Mais, si cela était, avec l'organisation actuelle du travail, le monde s'arrêterait de tourner simplement parce que cela prend du temps et développe l'esprit critique. Plus personne ne travaillerait. C'est pourquoi les hommes ont des goûts et des dégoûts, des choses qui les intéressent et d'autres pas ; parce que sinon, il n'y aurait pas de société. Ceux qui s'intéressent à trop de choses, qui s'intéressent même aux sujets qui ne les intéressaient pas a priori - et qui veulent comprendre les raisons de leur désintérêt - en payent le prix par une certaine solitude. Pour échapper à cet ostracisme, il est nécessaire de se doter d'une intelligence qui a une fonction, qui sert une science ou une cause, un métier ; tout simplement, une intelligence qui sert à quelque chose. Mon intelligence présumée, trop indépendante, ne sert à rien, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas être récupérée pour être employée par l'université, par l'université, une entreprise, un journal ou un cabinet d'avocats.
J'ai la malédiction de la raison ; je suis pauvre, célibataire, déprimé. Cela fait des mois que je réfléchis sur ma maladie de trop réfléchir, et j'ai établi avec certitude la corrélation entre mon malheur et l'incontinence de ma raison. Penser, essayer de comprendre ne m'a jamais rien apporté mais a toujours joué contre moi. Réfléchir n'est pas une opération naturelle, ça blesse, comme si cela révélait des tessons de bouteille et des barbelés mêlés à l'air. Je n'arrive pas à arrêter mon cerveau, à ralentir sa cadence. Je me sens comme une locomotive qui fonce sur les rails, et qui ne pourra jamais s'arrêter, car le carburant qui lui donne sa puissance vertigineuse, son charbon, est le monde. Tout ce que je vois, sens, entends, s'engouffre dans le four dans mon esprit, l'emballe et le fait tourner à plein régime. Essayer de comprendre est un suicide social, cela veut dire ne plus goûter à la vie sans se sentir, malgré soi, à la fois comme un oiseau de proie et un charognard qui dépèce ses objets d'étude. Ce qu'on cherche à comprendre, souvent, on le tue, car, comme chez l'apprenti médecin, il n'y a pas de véritable connaissance sans dissection : on découvre les veines et la circulation du sang, l'organisation du squelette, les nerfs, le fonctionnement intime du corps. Et, une nuit d'épouvante, on se retrouve dans une crypte humide et sombre, un scalpel à la main, barbouillé de sang, souffrant de nausées constantes, avec un cadavre froid et informe sur une table de métal. Après, on peut toujours essayer d'être un Pr Frankenstein, et rapiécer tout ça pour en faire un être vivant, mais le risque est de fabriquuer un monstre meurtrier. J'ai trop vécu dans les morgues ; aujourd'hui, je sens approcher le danger du cynisme, de l'aigreur et de l'infini tristesse ; rapidement, on devient doué pour le malheur. Il n'est pas possible de vivre en étant trop conscient, trop pensant. (...) Dans la nature, la conscience est l'exception ; on peut même postuler qu'elle est un accident car elle ne garantit aucune supériorité, aucune longévité particulière. Dans le cadre de l'évolution des espèces, elle n'est pas le signe d'une meilleure adaptation. Ce sont les insectes qui, en âge, en nombre et en territoire occupé, sont les véritables maîtres de la planète. L'organisation sociale des fourmis, par exemple, est bien plus performante que ne le sera jamais la nôtre, et aucune fourmi n'a de chaire à la Sorbonne.
(...)
Nous généralisons à partir de notre propre expérience, de ce qui nous arrange, de ce que l'on peut comprendre avec les maigres moyens de nos réseaux neuronaux et suivant la perspective de notre vision. C'est une facilité qui permet de penser rapidement, de juger et de se positionner.
(...)
Une personne sage dans une discussion aura toujours l'impression de simplifier, et son seul désir serait de faire des ratures, de coller des astérisques à certaines mots, de mettre des notes en bas de page et des commentaires en fin de volume pour exprimer vraiment sa pensée.
(...)
Les hommes simplifient le monde par le langage et la pensée, ainsi ils ont des certitudes ; et avoir des certitudes est la plus puissante volupté en ce monde, bien plus puissante que l'argent, le sexe et le pouvoir réunis. Le renoncement à une véritable intelligence est le prix à payer pour avoir des certitudes, et c'est toujours une dépense invisible à la banque de notre conscience.
(...)
Martin Page, - Comment je suis devenu stupide - J'ai Lu, septembre 2007.(...)
Il est écrit dans L'Ecclésiaste que "qui accroît sa science, accroît sa douleur" ; mais, n'ayant jamais eu le bonheur d'aller au catéchisme avec les autres enfants, je n'ai jamais été prévenu des dangers de l'étude. Les chrétiens ont bien de la chance, si jeunes, d'être mis en garde contre le risque de l'intelligence ; toute leur vie, ils sauront s'en écarter. Heureux les simples d'esprit.
Ceux qui pensent que l'intelligence a quelque noblesse n'en ont certainement pas assez pour se rendre compte que ce n'est qu'une malédiction.
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Si la nature n'estropiait personne, si le moule était à chaque fois sans faille, l'humanité serait restée une espèce proto-hominidés, heureuse, sans aucune pensée ni progrès, vivant très bien sans Prozac, sans capotes ni lecteur de DVD dolby digital.
Être curieux, vouloir comprendre la nature et les hommes, découvrir les arts, devrait être la tendance de tout esprit. Mais, si cela était, avec l'organisation actuelle du travail, le monde s'arrêterait de tourner simplement parce que cela prend du temps et développe l'esprit critique. Plus personne ne travaillerait. C'est pourquoi les hommes ont des goûts et des dégoûts, des choses qui les intéressent et d'autres pas ; parce que sinon, il n'y aurait pas de société. Ceux qui s'intéressent à trop de choses, qui s'intéressent même aux sujets qui ne les intéressaient pas a priori - et qui veulent comprendre les raisons de leur désintérêt - en payent le prix par une certaine solitude. Pour échapper à cet ostracisme, il est nécessaire de se doter d'une intelligence qui a une fonction, qui sert une science ou une cause, un métier ; tout simplement, une intelligence qui sert à quelque chose. Mon intelligence présumée, trop indépendante, ne sert à rien, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas être récupérée pour être employée par l'université, par l'université, une entreprise, un journal ou un cabinet d'avocats.
J'ai la malédiction de la raison ; je suis pauvre, célibataire, déprimé. Cela fait des mois que je réfléchis sur ma maladie de trop réfléchir, et j'ai établi avec certitude la corrélation entre mon malheur et l'incontinence de ma raison. Penser, essayer de comprendre ne m'a jamais rien apporté mais a toujours joué contre moi. Réfléchir n'est pas une opération naturelle, ça blesse, comme si cela révélait des tessons de bouteille et des barbelés mêlés à l'air. Je n'arrive pas à arrêter mon cerveau, à ralentir sa cadence. Je me sens comme une locomotive qui fonce sur les rails, et qui ne pourra jamais s'arrêter, car le carburant qui lui donne sa puissance vertigineuse, son charbon, est le monde. Tout ce que je vois, sens, entends, s'engouffre dans le four dans mon esprit, l'emballe et le fait tourner à plein régime. Essayer de comprendre est un suicide social, cela veut dire ne plus goûter à la vie sans se sentir, malgré soi, à la fois comme un oiseau de proie et un charognard qui dépèce ses objets d'étude. Ce qu'on cherche à comprendre, souvent, on le tue, car, comme chez l'apprenti médecin, il n'y a pas de véritable connaissance sans dissection : on découvre les veines et la circulation du sang, l'organisation du squelette, les nerfs, le fonctionnement intime du corps. Et, une nuit d'épouvante, on se retrouve dans une crypte humide et sombre, un scalpel à la main, barbouillé de sang, souffrant de nausées constantes, avec un cadavre froid et informe sur une table de métal. Après, on peut toujours essayer d'être un Pr Frankenstein, et rapiécer tout ça pour en faire un être vivant, mais le risque est de fabriquuer un monstre meurtrier. J'ai trop vécu dans les morgues ; aujourd'hui, je sens approcher le danger du cynisme, de l'aigreur et de l'infini tristesse ; rapidement, on devient doué pour le malheur. Il n'est pas possible de vivre en étant trop conscient, trop pensant. (...) Dans la nature, la conscience est l'exception ; on peut même postuler qu'elle est un accident car elle ne garantit aucune supériorité, aucune longévité particulière. Dans le cadre de l'évolution des espèces, elle n'est pas le signe d'une meilleure adaptation. Ce sont les insectes qui, en âge, en nombre et en territoire occupé, sont les véritables maîtres de la planète. L'organisation sociale des fourmis, par exemple, est bien plus performante que ne le sera jamais la nôtre, et aucune fourmi n'a de chaire à la Sorbonne.
(...)
Nous généralisons à partir de notre propre expérience, de ce qui nous arrange, de ce que l'on peut comprendre avec les maigres moyens de nos réseaux neuronaux et suivant la perspective de notre vision. C'est une facilité qui permet de penser rapidement, de juger et de se positionner.
(...)
Une personne sage dans une discussion aura toujours l'impression de simplifier, et son seul désir serait de faire des ratures, de coller des astérisques à certaines mots, de mettre des notes en bas de page et des commentaires en fin de volume pour exprimer vraiment sa pensée.
(...)
Les hommes simplifient le monde par le langage et la pensée, ainsi ils ont des certitudes ; et avoir des certitudes est la plus puissante volupté en ce monde, bien plus puissante que l'argent, le sexe et le pouvoir réunis. Le renoncement à une véritable intelligence est le prix à payer pour avoir des certitudes, et c'est toujours une dépense invisible à la banque de notre conscience.
(...)
C'est sioux tout ça ;-)
RépondreSupprimerPandora > J'admets. J'aurais dû le faire petit bout par petit bout. Ce texte se doit d'être disséquer pour être apprécier. Si j'avais le temps je ferais de l'exégèse sur chacun de ses mots...
RépondreSupprimerJe le reserve pour la prochaine livraison, ou le prochain facteur !!
RépondreSupprimerJe me sens nulle d'un coup : je suis en train de relire le dernier Harry... quelle culture mes amis !!
je me retrouve vachement dans certaines phrases
RépondreSupprimerfaudrait que je le lise
oui, mais voilà, en ce moment je lis pas :(
(le captacha me demande "fluor" : je dois en manquer c'est pas possible !)
Dine2paris > Pour Noël à Shangaï, j't'envois ça ! Et pis, te sentir nulle quand même ?! Harry, je me suis fait les 7 tomes entre septembre et décembre, l'an dernier. Et niveau culture, je trouve qu'on apprends plein de choses !!! Et là j'hésite à m'acheter les 9 tomes de Gossip Girl de Cecily von Ziegesar... Je te laisse chercher sur le net. Hyper intellectuelle comme lecture ;o)))
RépondreSupprimerTisseuse > Il faut le lire ;)
D'ailleurs, je pense que je vais commander les autres livres de cet auteur au père-noël !
waouh...
RépondreSupprimerPlume Vive > Le mot juste !
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