C’est de ma faute aussi. Je l’ai ennuyé avec mon amour. J’ai vidé mon cœur dans le sien. Jusqu’à la dernière goutte. Je l’ai rassasié. Il n’y a pas seulement l’amour, il y a la politique de l’amour, disait Barbey d’Aurevilly.
J’ai l’impression de, tout le temps, débuter mes billets livres par le même type d’accroche, alors je me suis dit que j’allais changer… C’est réussi, hein ? Bon, mais, maintenant qu’est-ce je dis… ?
Je crois que Katherine Pancol va être, pour moi, la Douglas Kennedy à la française. Un même souffle semble animer leur écriture.
De Katherine Pancol, j’ai commencé par Les yeux jaunes des crocodiles parce que je l’avais en magasin depuis un certain temps et que j’ai vu l’auteur, il y a peu, à la télévision dans Vivement dimanche prochain. Elle y parlait de son premier livre – Moi, d’abord – écrit il y a vingt ans qui a eu un grand succès ; de la question venue ensuite « comment faire pour en écrire un autre ? » ; de son départ pour les Etats-Unis pour apprendre à écrire. Cela m’a intriguée. Maintenant elle publie un livre par an et invente des personnages et des situations à y, presque, perdre le lecteur. Parce qu’il y en a du monde dans ses livres ! Et c’est tant mieux, sinon on s’ennuierait. Mais là, non, ce n’est pas possible !
Les yeux jaunes des crocodiles est une histoire d’amour, de famille, de sœurs, d’écriture, de chômage, d’argent, d’enfant et d’adolescent, d’adulte encore enfant et d’adolescent plus tout à fait enfant ; une histoire de caractère, celui des uns et des autres et le mélange qu’on en fait ; une histoire d’intolérance et d’apparence ; une histoire d’histoire qui aurait tout aussi bien pu se jouer au 12ème siècle.
Bon bah j’crois qu’il ne me reste plus qu’à acquérir La valse lente des tortues.
Et en attendant je vais me repaître de certains passages dédiés aux affres des écritures afin que ma réflexion se nourrisse elle aussi…
Depuis une heure et demie, Jo jouait avec son ordinateur, attendant l’inspiration. Rien. Pas le moindre frémissement narratif. (…) Inspiration, mot du XIIème siècle, issu du vocabulaire chrétien, qui charrie avec lui des notions aussi enivrantes que l’enthousiasme, la fureur, le transport, l’exaltation, l’élévation, le génie, le sublime. Elle venait de lire un texte magnifique d’un certain monsieur Maulpoix sur l’inspiration poétique et ne pouvait que constater qu’elle en était cruellement dépourvue. Clouée à terre, elle assistait, impuissante, à l’inertie de sa pensée. Elle avait beau l’apostropher, la supplier, lui ordonner de se mettre en branle, lancer un coup d’archet pour qu’elle s’ébroue, s’agit, s’échauffe, se délie, offre des images et des mots, des collisions avec d’autres images, d’autres mots, fasse surgir le Beau, le Bizarre, l’Intrépide, le belle se faisait prier et Joséphine, assise sur sa chaise de cuisine, labourait la table de ses doigts impatients. Pas la moindre envolée lyrique, pas le début d’une idée créatrice. Hier, elle avait cru en tenir une, mais ce matin, en se réveillant, l’idée s’était évanouie. Attendre, attendre. Se faire toute petite devant ce hasard foudroyant qui dépose à nos pieds ce qu’on a cherché en vain pendant des heures. Celui lui était déjà arrivé en rédigeant des morceaux de sa thèse, le choc de deux idées, de deux mots, comme deux silex qui s’allument. Il existait, ce glorieux éblouissement !
PANCOL, Katherine - Les yeux jaunes des crocodiles. Le livre de poche, mai 2007